super mamie

Cachez cette vieille que je ne saurais voir !

Quand Yann Moix nous explique n’être pas capable d’aimer une femme de son âge (50 ans), au-delà de son opinion, c’est une réalité sociale qui se dessine : les femmes qui vieillissent sont invisibles.

Dans une très récente interview pour Marie Claire qui a provoqué la colère de nombreuses femmes sur les réseaux sociaux, Yann Moix affirme ne pas pouvoir aimer une femme de son âge. 50 ans, donc. La raison ? « C’est trop vieux ». Le chroniqueur dit donner simplement son avis et faire preuve de franchise. On peut bien aimer qui on veut, me direz-vous, après tout chacun ses goûts. Le problème est que son point de vue, loin d’être marginal, est l’arbre qui cache la forêt et une réalité révoltante : notre société n’accepte pas que les femmes vieillissent.

Vieille chouette VS George Clooney

On serait tenté de dire que le jeunisme est un fléau social et on n’aurait certainement pas tort. Etre un senior ou simplement n’être plus jeune, pour les deux sexes, est loin d’être la panacée. Et quand bien même nous n’aurions pas de problème avec le fait d’avancer dans l’âge, la pub et le marketing s’arrangent pour nous en créer. Il faut bien que nous consommions des cosmétiques anti-âges, cures de rajeunissement ou autres interventions esthétiques. Que nous tentions de ressembler coûte que coûte à ces mannequins de vingt ans quand nous en avons quarante bien sonnés. Il faut cependant souligner que vieillir est plus difficile psychologiquement pour les femmes que pour les hommes, en vertu d’une croyance sociale que personne n’interroge la plupart du temps : les femmes vieilliraient « plus vite » et « moins bien » que les hommes.

Nous y croyons dur comme fer. Nous croyons que leurs rides sont sexy et leurs cheveux blancs irrésistibles, quand les nôtres nous feraient ressembler à de vieilles chouettes. Eux aussi y croient. Ils y croient tellement que nombre d’entre eux se sentent autorisés à 40, 50, 60, 70 ans, à dénigrer les femmes de leur âge et clamer haut et fort qu’ils préfèrent les jeunes. Ces hommes qui, eux, serait supposés se bonifier avec le temps. Est-ce seulement vrai ?  Permettez-moi d’en douter. A ceux qui me parleraient de George Clooney, j’opposerais Sharon Stone. Egalité. Les sosies de ces deux-là, dans la vraie vie, ne courent pas les rues. Notons que cette arrogance masculine répandue n’est pas limitée aux femmes quarantenaires et quinquagénaires. Peu importe leur physique, beaucoup commentent et dénigrent celui des femmes qui ne leur plaisent pas, quand bien même elles seraient beaucoup plus séduisantes qu’eux au final.

La valeur sexuelle des femmes

Comme je le soulignais ailleurs, c’est comme si les hommes n’avaient pas de corps, ayant seulement conscience de celui des femmes, auxquels ils attribuent une valeur sexuelle. Et c’est bien là le nœud du problème. Car ce qu’un homme est supposé aimer chez une femme, c’est sa désirabilité. Nous avons beaucoup de mal à concevoir qu’un homme puisse trouver quelque chose d’aimable chez une femme qui vieillit, surtout si lui-même est jeune. Dans une société faite par et pour les hommes, la valeur première d’une femme est le désir qu’elle inspire. Sans lui, point de salut. Ainsi Yann Moix affirme que le corps des femmes de 50 ans ne le dégoute pas mais qu’ « elles sont invisibles. Je préfère le corps des femmes jeunes, c’est tout. Point. Un corps de femme de 25 ans, c’est extraordinaire. Le corps d’une femme de 50 ans n’est pas extraordinaire du tout. » Tout est dit : une fois jeunesse passée, les femmes deviennent invisible, car sans valeurs sur le marché de la séduction.

Nous avons pourtant un scoop pour lui – et tous ceux qui penseraient comme lui : le corps d’un homme de 50 ans n’est pas extraordinaire comparé à un corps d’homme de 25 ans. Pas extraordinaire du tout. Seulement, il se trouve que les femmes apprennent à attribuer aux hommes d’autres valeurs que des valeurs sexuelles, quand on leur inculque qu’elles-mêmes doivent être désirables quoi qu’il arrive. Et voilà comment un type de 45 ans peut, sans que la société ne s’en émeuve, quitter sa compagne pour une femme de vingt ans sa cadette et comment cette dernière trouve parfaitement normal d’avoir un compagnon quarantenaire. Imaginons le tollé si c’était l’inverse et les soupçons d’irresponsabilité qui pèseraient sur la femme de 40 ans qui quitterait pour un homme de 25 – d’autant plus si elle est mère. L’idée n’est pas ici de remettre en question l’amour vrai que peuvent se porter des personnes quel que soit leur âge, mais d’interroger les schémas classiques répandus, bâtis sur des normes sexistes.

Une pathologie sociale

On ne sera pas surpris qu’il existe un mot pour les femmes mures qui aiment les jeunes (“cougars”) quand l’équivalent n’existe pas pour les hommes. La différence d’âge dans un couple quand c’est la femme qui est l’aînée surprend et, quand la différence est très marquée, elle donne généralement lieu à des railleries (Brigitte Macron doit encore avoir les oreilles qui sifflent). L’inverse laisse tout le monde indifférent. Une étude de la société de pompes funèbres Avalon Funeral Plans (c’est bon pour le moral…) met en lumière un fait troublant : les femmes commencent à se sentir vieilles et à avoir conscience du temps qui passe à partir de 29 ans, quand il faut attendre en moyenne… 58 ans pour les hommes. On se pince. Les femmes anticipent ainsi leur perte de désirabilité future. La sacro-sainte valeur sexuelle attribuée aux femmes, ajoutée au phénomène naturel de la ménopause, comme une étiquette sur notre front qui afficherait une date de péremption, a-t-elle permis à certains hommes de s’imaginer que, contrairement à nous, ils échappent au temps ? Mystère. On pourrait affirmer sans exagérer que les femmes âgées sont des sortes de pariah de nos sociétés modernes. Exclue de la séduction, elles sont inutiles – aux yeux des hommes, donc inutiles point barre – doit-on préciser que le regard masculin prime en tout ?

La mode des mannequins senior n’a pas inversé la tendance : on montre des femmes stylées, pas désirables (malheureux !). Et on n’ose même pas faire appel à une femme avec des rides pour vendre un produit qui la concerne : rappelons-nous les publicités pour les protections d’incontinence avec des mannequins de 30 ans. Ne parlons même pas des actrices qui, aussi douées soient-elles, disparaissent des écrans après 50 ans. « Je ne suis pas dans la pathologie » affirme encore Yann Moix, qui rappelle que sa compagne est tout de même quarantenaire. Je pense au contraire que si : que nombre d’hommes soient systématiquement à la recherche d’une compagne plus jeune, sans s’interroger eux-mêmes sur leur âge et la désidérabilité de leurs propres corps, dénote d’une pathologie sociale certaine, qu’il serait sans doute temps de soigner. Le temps est le même pour tous : pourquoi devrions-nous nous lamenter sur nos pattes d’oies ou nos seins qui tombent quand leur calvitie, leur ventre rebondi et leurs poils dans les oreilles seraient invisibles ? Et pourquoi nous imposer d’être nécessairement séduisantes et désirables quand nous valorisons d’autres qualités chez les hommes ? Il est temps de nous interroger sérieusement sur nos représentations collectives.

Nous, les femmes, avons un rôle à jouer là-dedans. Déconstruisons nos idées toutes faites. Arrêtons de nous persuader que les hommes de 45 ans sont aussi, voire davantage, séduisants qu’à 25, et cessons de le leur faire croire. Cessons de leur laisser penser que leurs corps à eux serait inexistant quand les nôtres devraient êtres désirables. Pourquoi tolérons-nous les marques des années sur un homme quand nous les détestons sur nous-mêmes et sur les autres femmes ? De même, cessons ne nous enorgueillir de notre jeunesse devant des femmes plus âgées : quand une femme nie toute séduction potentielle chez une autre qui a l’âge de sa mère, ou estime que cette dernière n’a plus de valeur en raison de sa séduction perdue, elle épouse l’impitoyable regard masculin et signe elle-même son exclusion future. Nous sommes toutes dans le même bateau, celui du patriarcat, et seules notre sororité, notre solidarité et notre bienveillance les unes avec les autres pourront le faire tanguer.