Réflexions sur la masculinité toxique

S’il y a mille et une façons d’être un homme, la masculinité toxique, bâtie sur un idéal viril et excluant, perpétue un système de domination bien établi.

Après le séisme provoqué par la ligue du LOL (des mecs blancs, cool, en vue, des pubards, journalistes, communicants ayant harcelé des femmes, des gays et lesbiennes ainsi que des personnes racisées), de nombreuses journalistes ont pointé du doigt les boys’ clubs, ces groupes d’hommes qui existent dans toutes les sphères de la société et exercent une domination sur d’autres cercles. Des groupes perpétuant une masculinité toxique, qui induit des comportements à l’impact négatif : misogynie, homophobie, violence. S’il existe des masculinités (= différentes façons d’être un homme), c’est au modèle viril, cette forme idéale et absolue de masculinité dominante, qu’on s’intéressera ici. Et cette virilité, on a deux trois choses à en dire.

La virilité n’est pas naturelle et elle est fragile

La virilité, contrairement à ce que ceux qui la portent en étendard s’imaginent (« L’homme est viril par nature », « C’est grâce à la testostérone », « Retrouvons notre nature originelle de mâle viril »), n’est pas innée : en effet, elle doit s’affirmer en permanence sous peine d’être déniée aux intéressés. « Etre un vai mec », ce n’est pas être biologiquement un homme ; c’est « adopter un comportement de vrai mec ». De fort. De dominant. Et ce comportement doit être réitéré encore et encore pour prouver sans cesse qu’on est viril.

Certains hommes s’en moquent comme de l’an 40 et vivent très bien sans avoir à affirmer leur virilité en permanence, contrairement à d’autre qui vivent tout affront comme une remise en cause de cette virilité, qui semble circonscrire leur identité entière. La virilité est donc une construction très fragile, qui risque à tout moment de s’effondrer. Eddy de Pretto le démontre très bien dans sa chanson “Kid” : la virilité, ça s’apprend et ça se cultive.

La virilité est excluante et communautariste 

La virilité est construite sur l’exclusion de tout ce qui n’est pas viril : les femmes, les gays, les hommes dont l’apparence ou les centre d’attentions sont jugés moins masculins. Ainsi, on se construit en tant qu’être viril moins sur la base de comportement virils en soi qu’en opposition avec ce qui ne l’est pas. Pour être viril, il faut donc bien marquer son opposition avec le féminin, car tout ce qui est féminin serait honteux quand c’est un homme qui l’arbore. Notons que l’inverse n’est pas vrai : une femme trop masculine sera effectivement moquée car elle ne collera pas à son genre, on la jugera pas assez séductrice, mais le masculin n’est pas honteux en-lui même.  Les attributs dits féminins (la douceur, la modération, la soumission, etc), c’est bon pour les femmes, mais pas pour les hommes virils. Pas besoin d’aller chercher loin pour se rendre compte qu’en creux, cela revient à mépriser les femmes.

Iggy Pop it's not shameful to be a woman
Iggy Pop semble avoir compris le fond du problème

L’entre-soi masculin, qui implique une exclusion stratégique du féminin, fonctionne toujours de cette façon : on exclut celles et ceux qui ne rentrent pas dans le moule de la virilité, on les moque, on les humilie, en paroles ou en actes. Les premières femmes à être entrées à l’université chahutées et huées par des hordes d’étudiants peuvent en témoigner. La première femme à avoir osé courir un marathon, agressée par des coureurs hommes, peut en témoigner.

Les dominants parlent volontiers de communautarisme, de tentatives d’exclusion lorsque ce sont EUX qui sont exclus (alors qu’ils prennent déjà beaucoup de place dans la société) : quand des cercles non mixtes ou des manifestations de femmes adviennent par exemple, on hurle au sexisme inversé. Idem quand il s’agit de cercles non-mixtes de personnes non blanches : on hurle au racisme inversé. Pourtant, ces organisations permettent aux minorités symboliques de penser leur place dans la société ainsi que leurs revendications sans qu’elles soient parasités par les avis des dominants. De se définir selon leurs propres critères et non selon les critères attribués par d’autres. On ne parle jamais de communautarisme quand le cercle est fait d’hommes, pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit dans les cercles de pouvoir masculins : communautarisme et entre-soi.

La virilité est dominante et violente

Affirmer sa virilité, c’est faire en sorte que tout ce qui n’est pas viril reste à « sa » place, cette place étant définie… par les hommes eux-mêmes et non par les personnes concernées. Peu importe la place que revendiquent les femmes : elles doivent rester là où les hommes virils veulent qu’elles soient. Au service de l’homme, de son plaisir, de son regard, en général. Dans tous les cas, au-dessous de lui : qu’elles ne s’élèvent trop, pour ne pas partager le pouvoir. Qu’elles ne parlent pas trop fort, qu’elles ne parlent pas d’elles-mêmes et pour elles-mêmes, qu’elles ne revendiquent pas une égalité (soi-disant déjà atteinte). Tout ça va trop loin et menace la masculinité virile, qui, étant basée sur la domination, n’existe plus s’il n’y plus personne à dominer.

La virilité est chouineuse et égocentrée

Sur les réseaux sociaux comme dans les médias généralistes (coucou Finkielkraut) on peut lire/entendre beaucoup de commentaires d’hommes qui se sentent persécutés et ironisent parce que « en tant qu’homme blanc hétérosexuel, je suis devenu responsable de tous les maux de cette société ». On a comme envie de leur dire d’arrêter de tout ramener à eux. Nous, vous n’êtes pas les 7 plaies d’Egypte, ni le diable. Mais vous êtes responsables de nier que, dans nos sociétés blanches, sexistes et hétéronormées, vous êtes au sommet de la pyramide. Vous êtes responsables de vous plaindre d’être soi-disant persécutés quand vous n’avez JAMAIS fait l’expérience d’une discrimination systémique. Quand à statut social égal, vous avez plus de privilèges qu’une femme ou qu’un homme homosexuel. Parce que vous le vouliez ou non, nous vivons ENCORE dans une société faire par et pour les hommes hétéro.

Ce que nombre d’entre vous ne réalisez pas, c’est qu’on ne peut pas choisir d’échapper au sexisme quand on est une femme. On ne peut pas choisir d’échapper à l’homophobie quand on est homosexuel. Car ces discriminations sont partout autour de nous, nous les subissons tout au long de notre vie, de front ou de manière larvée. En revanche, en tant qu’hommes hétérosexuel, vous pouvez choisir de ne pas adhérer aux injonctions viriles. Vous pouvez choisir de ne pas discriminer, de ne pas exclure, de ne pas écraser, de ne pas oppresser, de ne pas harceler, de ne pas agresser sexuellement. Quand vous choisissez de le faire, vous choisissez, en toute conscience, de jouer de votre privilège. Vous choisissez délibérément de faire usage de votre pouvoir au détriment de quelqu’un d’autre. Vous décidez délibérément de rejouer les processus de domination. 

Quand vous choisissez d’être sexiste ou de rire avec les sexistes, vous êtes coupable. Quand vous choisissez de dénigrer les témoignages de femmes qui vous parlent du sexisme qu’elles subissent, vous êtes coupable. Quand vous choisissez de faire abstraction de leur ressenti, vous êtes coupable. Quand vous choisissez de continuer à vous comporter comme des dominants alors même qu’on vous explique que ce comportement est toxique, vous êtes coupable. Quand vous décidez unilatéralement que vous êtes « un mec bien qui respecte les femmes » alors même qu’on vous démontre le contraire, vous êtes coupable. Vous n’êtes pas coupable « par défaut » parce que vous êtes des hommes : vous êtes coupable quand vous ne remettez pas en question vos comportement virils toxiques et quand vous refusez de comprendre qu’ils sont intolérables.