« Dream Crazier » de Nike : l’empowerment ne suffit pas

La publicité Dream Crazier de Nike est un hymne à l’empowerment féminin. Mais l’empowerment individuel ne suffit pas à nous libérer du sexisme.

Le 25 février durant la cérémonie des Oscars, Nike dévoilait sa nouvelle campagne publicitaire “Dream Crazier” imaginée par l’agence Wieden+Kennedy Portland : une ode aux athlètes qui atteignent leurs objectifs et parviennent à se faire une place dans le sport malgré l’éprouvante réalité du secteur. Saluée de toute part pour la force de son message féministe, la vidéo circule depuis quelques jours d’articles en réseaux sociaux. Derrière la beauté du spot et sa fermeté de ton se cachent pourtant des impensés qu’il est important de mettre au jour : l’empowerment des femmes ne suffit (malheureusement) pas à nous libérer du sexisme.

https://www.youtube.com/watch?time_continue=8&v=whpJ19RJ4JY

Bien fol est qui s’y fie

La folie présumée des femmes n’est pas nouvelle : on aura ici une pensée émue pour les pseudo « crises d’hystérie » et ses innombrables victimes féminines à travers les décennies. Encore aujourd’hui, on estime souvent que les femmes seraient trop émotives, assez peu maîtresses de leurs émotions, moins capable de raisonnement que les hommes. Ce qui est au passage assez croustillant puisqu’on n’hésite pas à affirmer, parallèlement, que les hommes, ces êtres doués de raison, seraient pourtant victimes de leurs pulsions, mais pas les femmes (il faudrait savoir !) ou qu’à âge égal les filles seraient plus mures et raisonnables que les garçons (le fameux « boys will be boys » !)… Paradoxe ? Quelle importance ! Le sexisme n’en est pas à une contradiction près, il fait feu de tout bois tant que cela conforte sa vision du monde et range femmes et hommes dans les cases qui lui plaisent. 

They Call You « CRAZY »

Les femmes sont donc trop émotives quand elles sont tristes, hystériques quand elles sont en colère, trop ambitieuse quand elles visent haut. Crazy Women. De tristes stéréotypes encore largement répandus qui ne doivent pas faire oublier que les actes sexistes ne sont PAS de simples paroles (« Tu es folle, calme toi » ou « Tu es folle, tu n’y arriveras pas »). Kathrine Switzer, la première femme à avoir couru le marathon de Boston, n’a pas été traitée de folle : elle a été agressée au long de sa course par des marathoniens qui tentaient de l’arrêter. Agressée. Physiquement. Par des hommes qui ne voulaient pas qu’elle soit là.

Les femmes ne sont pas simplement traitées de folles, la pression sociale n’est pas faite que de mots : elles sont parfois empêchées, concrètement, de faire ce qu’elles veulent faire. Se font rappeler à l’ordre pour de détails aussi triviaux que porter un short plutôt qu’une jupe sur un cours de tennis, comme Amélie Mauresmo. Se font recaler quand elles montent trop haut et souvent remettre à leur place si elles parlent trop fort, dénoncent, revendiquent ou parlent pour elles-mêmes. Se font harceler dans la rue pour avoir été de simples passantes. Se font tuer par leur conjoint quand elles veulent le quitter. La liste est longue, je ne l’énumèrerai pas.

« THEY » call you crazy

S’est-on demandé qui est ce They ? Ce qui n’est pas nommé n’existe par, il serait donc temps de le faire : car si le sexisme existe, c’est qu’il y a des sexistes, qui entretiennent un système bien en place.

« They » sont ces hommes, qui ne veulent pas que les femmes s’élèvent au même niveau qu’eux ou obtiennent les mêmes privilèges. Ces hommes que l’égalité réelle dérange et qui lui préfèrent le sexisme, bienveillant ou toxique, c’est selon. Ces boys’clubs où l’entre-soi masculin ne tolère aucune femme dans ses rangs. 

« They », ce sont aussi ces femmes qui ont intégré les stéréotypes et les idées reçues sur leur propre sexe, qui dévalorisent les autres femmes, s’auto-dévalorisent et, comme autant de gardiennes du Temple, sont les premières à considérer leurs consoeurs comme des rivales, ou à se dresser contre celles qui dérogent aux codes de leur genre – trop masculine, pas épilée, pas assez séduisante, trop ambitieuse, trop rebelle.

Au-delà de l’empowerment

Qu’on ne se méprenne pas : le message que fait passer Nike est inestimable et nous avons besoin que les femmes reprennent le pouvoir sur leurs destins. A l’instar la pub Gillette qui condamnait récemment la masculinité toxique (et n’a pas fait que des adeptes), ce spot est une bouffée d’oxygène et prouve que le monde change, pub et marketing compris.

https://www.youtube.com/watch?v=koPmuEyP3a0

L’appel à l’empowerment, à la ténacité, au dépassement de soi féminin est une nécessité pour que nos filles se libèrent des injonctions limitantes qu’on fait peser sur leur sexe. Mais n’oublions pas que ces limitations ne peuvent pas être vaincues par la seule force de caractère d’une femme, fut elle une athlète de haut niveau en devenir. Nike mise (comme de bien entendu – Just do it) sur la performance individuelle et le dépassement de soi : or, ce n’est pas seule, en se battant contre vents et marées pour ses rêves qu’on surmonte les stéréotypes et les obstacles que le sexisme sème sur notre route : c’est collectivement.

La lutte contre les stéréotypes n’est pas une lutte individuelle. C’est ensemble que nous ferons avancer les choses, et que nous créerons des sociétés dans lequel les femmes ne seront plus taxées de folles lorsqu’elles ont de l’ambition ou d’irrationnelles quand elles montrent une émotion. C’est ensemble que nous rendrons leurs rêves accessibles et non plus fous. Il me reste à remercier Nike pour ce beau message et à nous inviter, collectivement, à ne plus faire le jeu du sexisme. C’est assez simple, en somme : Just (don’t) do it.