Algérie : les droits des femmes, maintenant!

Des militantes féministes algériennes ont été accusées de parasiter le mouvement anti Bouteflika. Les droits des femmes constituent-ils réellement un agenda politique prématuré ?

Hier, pour le 7ème vendredi consécutif, les Algériennes et les Algériens sont descendus dans la rue. Suite à la démission d’Abdelaziz Bouteflika, ils continuent de réclamer un changement profond du système. Des militantes pour les droits des femmes manifestent elle aussi, réclamant notamment la parité et l’abrogation du Code de la famille. Le 29 mars dernier, certaines d’entre elles ont été agressées par une poignée d’hommes et accusées de “diviser le mouvement”. Vraiment ?

Urgent d’attendre

On le sait : certains ne supportent simplement pas que les femmes se fassent entendre. Classique réaction misogyne. “Chaque chose en son temps” voilà ce que semblent penser beaucoup d’autres. Les voix qui s’élèvent sur les réseaux sociaux sont nombreuses à dire la même chose : si le vieux système meurt, il sera alors temps de revendiquer des droits pour les femmes. Le faire maintenant, c’est manquer de vision. Pensons d’abord à tout le monde. On se demande bien quel est ce “tout le monde” qui n’inclurait pas les femmes en particulier et quel est cet universalisme qui ne penserait pas à elles, qui sont les principales victimes du système actuel en terme de précarité et de privation de droits.

Par ailleurs, il y a une naïveté extraordinaire, ou une mauvaise foi totale, à penser que les droits sont apportés aux femmes sur un plateau d’argent lorsque le pouvoir change. Le système actuel est sourd et moribond, certes : mais d’après quelles modalités égalitaires entend-on en construire un nouveau, si l’on attend sagement qu’il soit mis en place pour enfin daigner parler des droits de la moitié de la population ?

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Tous ensemble ?

Les mouvements de femmes qui parasiteraient l’action commune sont un marronnier : sous couvert de lutter tous ensemble et d’avoir un objectif commun, on balaie d’un revers de main les questions dites secondaires et somme toute superficielles, comme les droits des femmes. C’est dire la considération qu’on porte à ces dernières. En outre, on se leurre sur la nature d’un mouvement contestataire en imaginant qu’il suffira à renverser les vieux paradigmes, oppression des femmes incluse.

Simone de Beauvoir, qui fut en son temps une fervente marxiste, était pourtant très réservée sur la promesse des lendemains qui chantent. Elle identifiait très bien que le capitalisme, cause supposée de tous les maux, était loin d’être la seule cause de l’oppression des femmes. Beaucoup imaginaient en effet qu’une fois la lutte des classes réalisées, les droits des femmes se mettraient en place naturellement et l’égalité serait atteinte. Cette idée est très fréquente dans les rhétoriques de gauche, et dans toute les luttes communes mixtes, auxquelles les luttes démocratiques n’échappent pas. On feint toujours ignorer que les droits des femmes s’acquièrent de haute lutte contre les privilèges masculins. Même au sein des mouvements anarchistes, pourtant égalitaires par essence, le sexisme est bien présent.

Citoyennes de seconde zone

Les Algériennes ont déjà été trahies par le FLN, l’Histoire ne doit pas se répéter. Car, malheureusement, l’Histoire se répète encore et encore, ici et partout. Les femmes sont toujours présentes dans les mouvements de contestation et les révolutions, quand elles n’en sont pas tout bonnement les principales initiatrices. Mais, à l’heure du changement, elles en sont les grandes oubliées. Le pouvoir est une affaire d’hommes, qui n’entendent pas le partager, s’intéressent rarement aux problèmes des femmes et s’accommodent très bien de les dominer. On attend des femme qu’elles participent au mouvements collectifs mais, à la victoire, on les renvoie bien vite dans la cuisine.

Les exemples sont nombreux. La Révolution française a largement exclu les Citoyennes, tout comme la République chinoise, créée en 1912 après la chute de l’Empire, a refusé le droit de votes aux femmes, pourtant très actives dans les mouvements anti-impérialistes. Presque 40 ans plus tard, à la proclamation de la République populaire, le pouvoir s’est empressé de dissoudre tous les mouvements féministes pour créer la Ligue des Femmes, chapeautée par le Parti Communiste. Sommées de ne plus porter leurs propres revendications, les femmes ont été déclarées “libérées”, tandis que personne n’interrogeait réellement la domination masculine. Bien cachés sous le tapis des discours officiels, patriarcat, violence domestique et sexisme n’ont pas disparu par magie.

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Le sexisme, gangrène universelle

Au sein des luttes à caractère politique, l’ennemi commun fait bien souvent oublier que les causes de l’oppression des femmes, si elles sont exacerbées ou rendues intolérables par certaines circonstances (l’obscurantisme religieux ou encore le capitalisme sauvage, par exemple) sont inhérentes à toutes nos constructions sociales, indépendamment des régimes. La focalisation sur cet ennemi extérieur occulte une réalité : le sexisme est un ennemi intime qui gangrène toutes les luttes et tous les échelons de la société.

Il faut bien comprendre que sans examen approfondi, sans procès du sexisme et du patriarcat, la domination masculine se rejoue toujours, quel que soit le mouvement, quel que soit le parti. Elle existe au sein des dictatures. Elle existe aussi au sein des démocraties. Elle existe chez les athées, elle existe chez les fous de Dieu. Elle existe chez nous, comme chez les voisins. C’est un schéma social constant, les différences de degré dans l’oppression sexiste n’en changeant jamais ni la nature, ni les ressors. Tant que le pouvoir reste concentré entre les main des hommes et tant que ceux-ci n’interrogent pas leurs privilèges, la cause des femmes n’avance pas d’elle-même.

Je voudrais simplement poser une question : si vous n’êtes pas pour les droits des femmes maintenant, pourquoi le seriez-vous ensuite ? Si cela vous défrise de voir des féministes poser des affiches, pourquoi le toléreriez-vous à l’avenir ? Les militantes algériennes ont raison de faire entendre leurs voix dès à présent et de réclamer l’inscription de leurs droits à l’agenda politique à venir. C’est dès à présent qu’il faut poser les bases et afficher leur intransigeance : les droits des femmes ne seront jamais prioritaires si les femmes n’en font pas elles-mêmes une priorité.