Sorcières, de Mona Chollet

Sorcières, La Puissance invaincue des femmes de Mona Chollet est l’essai féministe de 2018 qu’il faut avoir lu ! Sisterz vous en parle.

Les plus chanceuses d’entre nous l’auront trouvé sous le sapin. Pour les autres, il est encore temps de le demander pour les étrennes ou de se l’offrir (après tout, on n’est jamais mieux servie que par soi-même) ! Sorcières, La Puissance invaincue des femmes de Mona Chollet est l’essai féministe de 2018 qu’il faut avoir lu : fouillé, intelligent, et qui vous met presque une claque à chaque page.


Mona Chollet n’en est pas à son premier essai. Après Beauté fatale ou encore Chez soi, elle réitère avec un ouvrage monumental (n’ayons pas peur des mots), non par son format (280 pages), mais par son contenu. Comme son titre ne l’indique pas, il ne s’agit pas d’un manuel de sorcellerie ni d’un traité mystique essentialiste sur la puissance des femmes, mais d’une enquête journalistique et sociologique étayée de réflexions personnelles. De son style précis et limpide habituel (un régal à lire), l’essayiste prend pour point de départ les chasses aux sorcières de la Renaissance (c’est la première chose étonnante qu’on apprend dans ce livre : ce n’est pas au Moyen-Age qu’on chassait les sorcières) pour dérouler une démonstration très convaincante : elles seraient à l’origine du monde misogyne dont nous avons hérité, une apothéose de la haine du féminin ayant profondément façonné nos représentations des femmes.

Un féminicide ignoré

On apprend ainsi que 50 000 à 100 000 femmes furent exécutées non pas par des tribunaux religieux, mais bien par des tribunaux civils. La chasse aux sorcières n’était en rien une chasse aux hérétiques menée par des autorités chrétiennes fanatiques, mais bien un féminicide. Une véritable hystérie collective visant en creux à remettre les femmes un peu trop libres ou savantes à leur place dans l’espace social (c’est-à-dire : tout en bas, au-dessous des hommes), tout écart de conduite ou parole un peu haute pouvant mener à une accusation de sorcellerie et directement à la mort. En somme, une vraie guerre contre les femmes qui n’a pas dit son nom. Trois sortes de femmes étaient principalement visées : les femmes sans enfant, les célibataires/veuves, et les femmes âgées, soit celles déviant de leur rôle de mère, celles n’appartenant pas à un homme ou n’ayant plus leur place parmi les femmes dignes de ce nom (comprendre : les femmes jeunes, séduisantes et fertiles).

Des représentations tenaces

Ces catégories de femmes sont encore aujourd’hui associées à des représentations négatives dans nos sociétés modernes : les « filles à chats », parangon de la vieille fille à plaindre ; les célibataires assumées ; les childfree revendiquées ; les femmes ménopausées devenues invisibles ; les vieilles femmes dont l’aspect et la sexualité inspirent l’horreur – quand les hommes, prétendument, vieillissent bien ; ou tout simplement les femmes qui osent parler haut et fort pour elles-mêmes ; en résumé, toute femme non liée à un homme, refusant la maternité, sans valeur sur le marché de la séduction, ou faisant montre d’un peu trop de liberté et/ou de pouvoir, qu’on tente de faire entrer dans le rang à coup de réflexions désagréables et de pression sociale, sinon de violence. En 2018, on préfère toujours quand les femmes restent à leur place : ce n’est pas le harcèlement de celles qui osent s’exprimerlibrement sur les réseaux sociaux (coucou les Sisterz féministes !) qui nous démontrera le contraire. Le constat est là : nous vivons encore dans un ordre symbolique construit contre les femmes, surtout celles qui ne jouent pas/plus le jeu de la séduction, celles qui se revendiquent ou simplement apparaissent libres – de corps, d’apparence, de parole, de pensée.

La confiscation du savoir

Mona Chollet souligne, à raison, que les chasses aux sorcières sont passées dans la mémoire collective comme un fait assez anecdotique et même amusant. Une déformation et un enfouissement mémoriel stupéfiant d’une réalité qui fait froid dans le dos : des dizaines de milliers de femmes pourchassées et brûlées vives (ou mortes, quand le bourreau était compatissant) pour la seule raison qu’elles étaient des femmes ; un meurtre de masse jamais consigné dans les livres d’Histoire. Une fois la société purgée du savoir féminin, la médecine et l’obstétrique, autrefois apanage des guérisseuses et des accoucheuses, passa entre les mains des hommes, pour y demeurer jusqu’à récemment. Les violences gynécologiques et la négation de leurs corps que de nombreuses femmes dénoncent de nos jours sont la conséquence directe d’une médecine longtemps pratiquée et dominée par les hommes. Les femmes furent évincées des sphères professionnelles et reléguées à leur rôle de mère. Avec la disparition des prétendues sorcières, on forgea un nouveau monde où le savant et le sachant était nécessairement masculin (c’est encore le cas aujourd’hui et ça ne date pas d'hier), en guerre contre le féminin et la nature.

Les sorcières, du moins des femmes se revendiquant comme telles, existent toujours de nos jours – mouvement de la Wicca , Witch Bloc, etc. Si l’autrice n’entend pas faire en faire des modèles à suivre (chacune fait et croit en ce qu’elle veut), elle souligne que la figure de la sorcière, libre, insaisissable, rebelle, hante le féminisme actuel et ses revendications, et qu’elle constitue une source d’inspiration puissante pour l’autodétermination féminine. L’histoire oubliée des sorcières nous enseigne la  « volupté de l’audace, de l’insolence, de l’affirmation vitale, du défi à l’autorité », bref, l’énergie et le courage nécessaire pour mettre ce monde sans dessus-dessous.


Sorcières, La Puissance invaincue des femmes, de Mona Chollet, éditions Zones. A lire en intégralité sur le site de l’éditeur.

Envie de creuser? Ecoutez cet épisode du podcast de la Poudre consacré à Mona Chollet et à son oeuvre.