Selon une enquête de l’INSEE datée de 2015, l’idée que les compétences sont déterminées par le sexe d’un individu est en perte de vitesse. Pourtant, paradoxalement, la croyance selon laquelle les femmes ont davantage de prédispositions et d’appétence pour s’occuper des enfants reste bien ancrée. Mais pourquoi, Sister ? D’aucun ou d’aucune évoqueront certainement l’instinct maternel, cet attribut inné d’où découlerait un mystérieux don pour s’occuper des enfants. Mais l’instinct maternel, ça existe ? Faisons le point sur le gène du babysitting, le pouvoir magique de la Supermama et la science infuse de la table à langer.
Qu’en dit la science – la vraie ?
Tout d’abord que chez les mammifères, ce sont les femelles qui portent les petits et les allaitent (merci Captain Obvious). Et donc ? Et donc pas forcément de lien de cause à effet, mon capitaine. Dans La femme qui n’évoluerait jamais (Payot), l’anthropologue et primatologue Sarah Blaffer Hardy montre bien qu’il existe dans le règne animal des mécanismes biologiques qui attachent les mères à leurs petits, mais qui ne suffisent en aucun cas à les rendre soignantes et aimantes. Certaines les mangent, les tuent, les abandonnent. Elle souligne également l’existence de stratégies de séduction (sourires, pleurs, cris) chez les bébés pour s’attacher les adultes – parents et entourage. Chez les chimpanzés par exemple, mâles et femelles sont tous deux irrésistiblement attirés par le nourrisson et sont en compétition pour se l’approprier. Il y aurait donc un instinct de survie chez le bébé pour se faire nourrir et cajoler (par sa mère, son père et sa famille étendue), battant en brèche l’idée d’un amour maternel qui n’aurait besoin d’aucun à-côté pour exister.
Et dans l’Histoire ?
Si les femmes ont toujours donné la vie – biologiquement parlant – il se trouve cependant qu’en Occident, l’idée d’un lien mère-enfant irrépressible est assez récente : elle date du milieu de 18ème siècle, époque à laquelle la maternité fut valorisée en tant que rôle social féminin ultime et où on commença à s’intéresser à l’enfant en tant que tel ainsi qu’à son éducation. Durant les siècles précédents, les enfants abandonnés, élevés par des nourrices ou dont on ne faisait pas grand cas étaient légions. Notons par ailleurs que les enfants maltraités ou négligés, encore à l’époque actuelle, ne sont pas rares et que les mères infanticides ont toujours existé : cela devrait suffire à reléguer cette idée de “mère naturelle” aux oubliettes.
Basic instinct ?
Mais un instinct, c’est quoi au juste ? Il s’agit d’un comportement inné et héréditaire commun à tous les membres d’une espèce, qui les pousse à agir d’une façon prévisible dans une circonstance donnée – comme les hirondelles qui migrent vers le Sud en automne ou les saumons qui reviennent pondre à l’endroit où ils sont nés. Autant dire que l’instinct ne s’applique pas à la maternité humaine. En effet, toutes les femmes ne désirent pas d’enfant et certaines n’ont pas d’affection particulière pour eux. Cette réalité qui dérange nos convictions est facilement occultée tant nos représentations socioculturelles nous poussent à penser que la maternité serait à la fois la condition naturelle de la femme, un nécessaire bonheur pour elle et la réalisation ultime de son identité. La croyance collective en un instinct maternel corrobore, contre les évidences mêmes, une prétendue inclination naturelle des femmes à vouloir des enfants et la nécessité absolue pour elles d’en avoir. Celles qui n’en ont pas passent pour des anomalies sociales. Le choix de celles qui n’en veulent pas est rarement entendu : elles sont immédiatement soupçonnées de se mentir à elles-mêmes et accusées de nier leur nature profonde.
La maternité comme rôle social
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cette pseudo nature n’est pas d’une grande aide : après l’accouchement, la plupart des femmes, si elles n’y ont pas été préparées, n’ont pas la moindre idée de comment s’occuper d’un bébé. L’ instinct a bon dos. En réalité, les femmes qui ont des enfants apprennent à devenir des mères et elles intègrent ce rôle d’autant mieux qu’elles subissent une pression (sociale mais aussi intériorisée) à être des mères parfaites et à porter la charge mentale de la parentalité. En résulte souvent une culpabilité quand elles se sentent dépassées par la maternité, comme si c’était anormal. On conçoit aisément qu’un père soit absent ou démissionnaire, comme si ce rôle était facultatif, quand on ne pardonne pas les “mauvaises mères” ou celles qui sont considérées comme telles (quoi qu’on entende derrière ce terme). On attend toujours davantage des femmes qu’elles se dévouent à leurs enfants et nous avons collectivement tendance à les responsabiliser à outrance en déresponsabilisant les pères (parfois malgré eux), à applaudir quand il savent changer une couche, prendre un rendez-vous chez le pédiatre, et les regarder d’un mauvais œil s’ils posent une RTT pour enfant malade (« Et ta femme alors, elle peut pas gérer ? »).
Mères à plein temps
Par ailleurs, dans un couple hétérosexuel, les femmes se retrouvent en général plus longtemps que leur conjoint parent à plein temps : les congés maternité sont plus longs que les congés paternité – ne parlons même pas des pères aux foyer qui sont une rareté. Les hommes ne représentent que 1,2% seulement des congés parentaux pris chaque année et l’arrêt de travail masculin est encore assez mal perçu par la société. Les statistiques montrent que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel lorsque le foyer compte un enfant en bas âge, dédiant ainsi encore davantage de leur temps aux enfants. A ce sujet, certaines opinions ont la vie dure : 22% des hommes pensent que les femmes s’arrêtent de travailler lorsqu’arrive un enfant parce qu’elles savent mieux s’en occuper, contre seulement 9% des femmes. Pas dupes, les Sisterz ! 28% seulement des hommes estiment qu’elles mettent leur vie professionnelle entre parenthèses pour s’occuper des enfants car elles gagnent moins d’argent qu’eux, contre 44% des femmes, qui ont ainsi plus largement conscience qu’elles restent à la maison en premier lieu parce que leur salaire est le plus faible des deux. Hommes et femmes sont 18% à penser que les femmes gèrent davantage les enfants par goût.
Félicitations madame !
Mélangez tous ces éléments, touillez et vous obtenez des femmes titulaires d’un doctorat ès marmots – avec les félicitations du jury – et l’idée toute faite qu’elles auraient une prédisposition pour vouloir, aimer et élever des enfants. Dans les faits, si les femmes paraissent plus compétentes que les hommes dans ce domaine, la biologie n’y est pour rien : elles ont rarement le choix de s’occuper des enfants à moitié. Notons d’ailleurs au passage que les familles monoparentales sont à 85% composées de femmes, qui ont ainsi la garde principale ou exclusive de leur(s) enfant(s). Comme c’est en forgeant qu’on devient forgeronne, plus on s’occupe d’un enfant, plus on devient douée en la matière et plus le conjoint, l’entourage et la société entière s’imaginent qu’on sait naturellement – d’autant plus quand on présuppose qu’une femme est “faite” pour la maternité et que tout destin alternatif apparaît louche.
On voit donc qu’être biologiquement une femme n’enseigne en rien le soin aux enfants et ne prédispose même pas à les aimer. En revanche dès l’accouchement, pour des raisons sociales et économiques, les femmes passent en majorité plus de temps avec leurs enfants, développant ainsi une compétence particulière pour s’en occuper et corroborant la croyance en un instinct maternel. Pourtant, il faut dire et rappeler qu’avoir des enfants ou pas est un choix – et non une nécessité dictée par la nature, et qu’on ne naît pas mère, on le devient. Il s’agit d’un apprentissage, les femmes n’étant pas plus douées naturellement que les hommes pour aimer leurs enfants, changer les couches, interpréter des pleurs ou donner le biberon.