Féminisme et égalité : le rôle des hommes

Quel est le rôle des hommes dans la lutte pour l’égalité des sexes ? Que doivent-ils faire et ne pas faire ? Notre éclairage pour débrouiller les pistes.

L’égalité des sexes étant l’affaire de tous, on se demande souvent quelle est la place des hommes dans le féminisme et la lutte pour cette égalité. Certains s’en sentent exclus alors qu’ils veulent aider, d’autre s’offusquent de se faire traiter d’oppresseurs alors qu’ils se pensent égalitaires. D’autres militent quotidiennement, sur le terrain ou sur les réseaux sociaux via des comptes dits “féministes”.  Une chose est certaine : il y a bien une place pour les hommes dans le féminisme, mais elle est soumise à certaines conditions et ne doit en aucun cas se substituer à celle des femmes.

Savoir d’où l’on parle

La première règle à retenir, c’est que soutenir la cause féministe de doit pas faire oublier d’où l’on parle : dans un système patriarcal, tout homme (le sous-texte ici est : homme cis hétérosexuel) est au mieux un privilégié de genre, au pire un dominant – l’un n’étant pas exclusif de l’autre. Un privilégié de genre signifie que, parce que vous êtes identifié socialement comme un homme, vous ne souffrez pas du sexisme qui touche les femmes. En effet, vous êtes le genre neutre par excellence, l’humain par défaut. On ne se sert pas en permanence de votre sexe ou votre genre comme un pré-requis pour vous insulter, vous harceler, vous contraindre sexuellement, pour nier vos compétences ou vous invisibiliser, pour vous inventer des obligations et des devoirs envers l’autre moitié de l’humanité, pour décider que vous n’êtes finalement qu’une moitié d’être vivant. 

Etre dominant signifie que vous profitez de votre genre masculin pour mettre en place des processus et situations de domination sur les femmes. Ils peuvent être multiples, du sexisme dit « quotidien » et souvent jugé (à tort) insignifiant ou amusant (« C’est pas du sexisme, c’est de l’humour ! ») aux violences extrêmes. Vous êtes donc, que vous le veuillez ou non, partie prenante d’un système sexiste. Dans le meilleur des cas vous profitez, même sans le vouloir, de ce système, où en tant qu’homme on vous laisse tranquille quand les femmes autour de vous sont subissent de front ou de manière larvée un sexisme qui entrave leur quotidien, leur mental, leurs corps, leur carrière. Le rôle des hommes cis hétéro dans le féminisme, dans l’égalité de sexes, c’est d’abord d’avoir conscience que vous êtes dans le camp des privilégiés et que vous ne pouvez pas vous en dédouaner. 

Nous sommes tous sexistes 

Cette première étape franchie, la deuxième chose à retenir, c’est que vous ne pouvez pas décider unilatéralement que vous êtes un gentil garçon et que vous n’êtes pas sexiste. Ce n’est pas à vous d’établir cela. Car il ne suffit pas de se dire égalitaire pour l’être, comme il ne suffit pas de se proclamer “pas raciste” pour déconstruire d’un coup de baguette magique tous nos stéréotypes. Nous possédons tous des biais de pensée sexistes et il faut accepter que nous nous sommes construits dans une société très largement sexiste, qui nous a profondément modelés. Même si vous ne vous pensez pas sexiste, nos représentations collectives le sont et vous les avez intégrées, malgré vous. En tant qu’homme, vous avez intégré des réflexes de domination, à des degrés qui différent selon votre vécu et votre éducation, tout comme les femmes ont intégré des réflexes de soumission.

Il est illusoire de penser que vous échappez à la règle. Après plus de dix ans de féminisme et de déconstruction, j’ai encore des biais bien ancrés – j’ai par exemple intégré certains de ces fameux réflexes de soumission, ou alors je me surprends encore, après toutes ces années, à mépriser et dévaloriser involontairement les femmes. Pourtant, je SAIS tout ça et, en tant que femme, je suis la première victime de ce sexisme. Mais, parfois, ça m’échappe. Alors quand certains hommes se targuent d’être exempts de tout sexisme, ne soyons pas naïfs : admettons que c’est impossible.

Me remettre en question ? Pourquoi ?

La déconstruction : la base

De même, vous ne pouvez pas vous auto proclamer chevalier blanc féministe et foncer tête baissée dans la lutte pour l’égalité sans vous remettre en question. Ouvrir les yeux sur le sexisme ancré en chacun de nous est long, et déconstruire ce sexisme est encore plus long. Etre féministe va bien au-delà d’être convaincu d’évidences simplistes comme « Hommes et femmes doivent être égaux », « Avoir le même salaire à travail égal », « Il faut s’assurer du consentement d’autrui avant un rapport sexuel » etc. Et c’est un travail de tous les instants. Cela implique d’interroger même les impensés, de remettre en question toute notre socialisation, nos constructions psychologiques, notre rapport au monde, la façon dont nous l’appréhendons, ce qu’on nous a appris. Le sexisme et ses biais imprègnent nos représentations, nos capacités de jugement, nos fantasmes, notre sexualité, notre langage, nos pensées, nos goûts, notre sens de l’esthétique, notre savoir, notre Histoire, notre culture, notre conscient et notre inconscient.

Pour se déconstruire, il faut apprendre, écouter, lire (car d’autres hommes ont déjà réfléchi à la question, voir ressources en bas de l’article), faire des efforts en permanence, sans prétendre tout savoir. Sinon, c’est l’échec assuré. Dites-vous bien que la déconstruction n’est jamais vraiment finie et en avoir conscience n’est pas une option. Si les femmes féministes sont conscientes de ça et fournissent une ENORME travail préalable, en tant qu’homme allié, vous ne pouvez pas faire l’impasse dessus. Vous ne pouvez pas dire « Je suis féministe / pro féministe/ pour l’égalité /du côté des femmes » en imaginant que cela suffit, en faisant l’impasse sur la déconstruction profonde que cela implique. Et pour cela, vous devez impérativement écouter : quand des femmes considèrent que vous avez dit ou fait quelque chose de sexiste, remettez-vous en question au lieu de décréter qu’elles ont tort.

L’égalité est fragile

Il y a une autre chose fondamentale à savoir : de par leur position sociale dominante, les hommes ont à tout moment la possibilité de passer dans le camp des oppresseurs, soit à dessein, soit en ayant omis de réfléchir en profondeur à leur déconstruction, soit malgré eux en retrouvant leurs vieux réflexes – comme je retrouve parfois les miens. L’égalité est très fragile, et il suffit de peu pour tout balayer. Les rapports de domination peuvent se rejouer très vite si l’on n’y prend pas garde, et ils se rejouent partout, en société, au travail, dans le couple et même dans les milieux militants féministes. De quelle façon ? Très simplement. Si vous êtes un homme, on vous écoutera davantage. Si vous êtes un homme, il y a statistiquement plus de chance que vous accapariez la parole, que vous écoutiez moins, que vous réussissiez à imposer vos idées parce qu’on vous écoute, vous : et que vous vous jugiez totalement déconstruit même si ce n’est pas le cas et remettiez in fine en place un système dans lequel les femmes passent en second.

Les hommes ne peuvent entrer dans la lutte féministe ou prétendre soutenir la cause des femmes sans se mettre en retrait. Quand ce ne sont plus les premiers concernés qui mènent une lutte pour leur droits et leur émancipation (cela fonctionne aussi pour la lutte antiraciste), cette lutte peut-être à tout moment dévoyée par les privilégiés/oppresseurs qui font alors ce qu’ils font le mieux – même parfois sans en avoir conscience : définir le monde et l’autre de leur point de vue de dominant, en croyant dur comme fer à leur propre objectivité. Si avoir de vrais alliés déconstruits est indispensable, avoir de pseudo alliés qui ne s’interrogent qu’en surface, voire ne s’interrogent pas du tout, est désastreux, pour toutes les raisons susmentionnées.

L’ éducation des autres hommes

Le rôle des hommes n’est donc pas de mener la lutte « à la place » des femmes. Il n’est pas non plus d’expliquer aux femmes de quelle façon elles doivent lutter et comment elles doivent appréhender le sexisme dont elles sont victimes. Par pitié, gardez vos « Tu dessers ta cause », « Tu devrais », « Y’a qu’à… » pour vous. Quel est le rôle d’un homme dans l’égalité, dans ce cas ? D’abord, c’est déconstruire au maximum la masculinité toxique, les réflexes et les stéréotypes sexistes, chez lui. Et ensuite, chez les autres hommes. Se détacher des solidarités masculines problématiques, construites contre les femmes. Par exemple, ne pas rire aux blagues misogynes (ou homophobes, d’ailleurs), ne plus être aveuglément solidaire, ne plus fermer les yeux sur des situation de harcèlement sexuel, ne plus laisser passer les comportements sexistes de ses amis, de ses collègues, oser leur dire qu’on n’est pas d’accord.

Entre un réel alliée du féminisme, c’est sortir de sa bulle de confort masculine et de l’entre-soi masculin. C’est assumer les regards de travers et les rires quand on est soi-disant pas assez viril (ménage, vaisselle, congés paternité). Si les masculinités alternatives au modèle viril traditionnel peuvent sembler évidentes à certains, elles ne le sont pas pour tout le monde : nous sommes nombreux à préjuger de ce que doit être un homme, et certains se voient reprocher de ne pas coller à ces injonctions. N’y cédez pas. Ce seront peut-être même des femmes qui jugeront votre pseudo manque de virilité. N’y cédez pas non plus. De la même façon que les femmes féministes ne cèdent pas aux injonctions à se taire.

Il est fondamental que la lutte féministe reste menée par les femmes, et que les hommes alliés les écoutent, sans tentative d’appropriation, et surtout, sans décider de façon unilatérale qu’ils sont déconstruits et qu’ils n’ont plus rien à apprendre. Le rôle des hommes est de mettre en place des masculinités non oppressives et d’éduquer les autres hommes. Et en cela, ils soulageront réellement les femmes féministes, qui, prises à partie en permanence, n’ont ni le temps, ni l’énergie pour le faire et participeront activement à la construction de l’égalité.

Ressources pour débuter

  • La Domination masculine de Pierre Bourdieu. Un classique pour maîtriser les bases et comprendre comment la domination masculine se construit symboliquement et concrètement.
  • Mansplaining : un podcast très éclairant de Thomas Messias. L’éveil au féminisme du point de vue d’un homme.
  • Les Couilles sur la table : le passionnant podcast de Victoire Tuaillon qui, avec ses invités, décrypte les masculinités.

Pour aller plus loin